Pierre Perrin, La Toussaint, Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022

Pierre Perrin, La Toussaint
[ou le lendemain]
in Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022



[La souris ici pour la version originelle, in La Vie crépusculaire, Cheyne, 1996, épuisé]
Pour ce jour sans couleur, sans espérance, on s’assemblait au village, propres, en habits du dimanche. Les cloches sonnaient le glas. On fêtait la mort. Bientôt, la solitude au coude à coude ébranlait le cortège.

Pour descendre au cimetière, un curé d’âge mûr, derrière la lourde croix que portait un enfant vêtu de blanc, psalmodiait du grégorien que les vieilles surtout, chevrotant le malheur, répétaient en chœur.

Passé les premiers rangs, on rêvait souvent. Certains osaient bavarder. La récolte bréhaigne, un veau crevé, les labours en retard, les bornes baladeuses... On s’était déjà tant démené dans la poussière de l’été.

Cependant près des portes, chacun se ressaisissait. Un silence incrédule envahissait la foule ; le sable seul, pioché de frais, crissait ; les branches des pins attiraient des corbeaux. Chaque famille fixait sa tombe.
© Jean-Claude Salet
C’était un père, un frère, une mère, une sœur. La guerre avait couché l’un ; le devoir fait les martyrs. Les autres, c’était la rivière en furie, un grand arbre à la renverse ou le simple harassement, à tout âge.

Au bout des patenôtres, de l’hébétude, de l’imposture parfois, un pèlerin détournait le regard, un voisin risquait un signe, une belle femme souriait, tandis que les veuves redoublaient de sanglots presque à l’unisson.

Enfin le curé, d’un coup sec, refermait son missel. D’un grand geste il se signait et, dans un demi tour militaire, il poussait devant lui la croix en broyant l’épaule de l’enfant de chœur qui partait au galop.

Souvent il faisait froid. Parmi les allées, sous l’agitation, les hommes ajustaient leur béret pour s’élancer gravement. Vaincues, les filles soutenaient leur mère en pleurs. La douleur, les hommes la leur abandonnaient.

Et, depuis la route, on entendait se refermer les grilles dans un miaulement de rouille. Le village réaspirait son monde. Midi allait fumer dans les assiettes. C’était tout, jusqu’au prochain enterrement.

Pierre PERRIN, La Vie crépusculaire, Cheyne, 1996 [épuisé]

La foi serait-elle à l’homme ce que la canne est à l’aveugle ?

En ce jour sans couleur, sans espérance, les cloches
Sonnent le glas. On fête la mort, en habits du dimanche.
Pour descendre au cimetière, derrière la croix que porte

Un enfant, le curé psalmodie du grégorien que les vieilles,
Chevrotant le malheur, avec douceur, répètent en chœur.
À l’arrière, quels sans-gêne, quels impies osent bavarder ?

La récolte grêlée, un veau crevé, des labours en retard,
Des bornes prétendues déplacées sans voir, sans savoir.
Paysans, ils se sont démenés dans la poussière de l’été.


Vers l’entrée, un silence courbe la foule, en domino.
Pioché de frais, le sable crisse. Au faîte du pin centenaire,
Des corbeaux croassent. Chaque famille fixe sa tombe.

C’est un père, un frère, une mère, une sœur. La guerre
A couché l’un ; le devoir fait les martyrs. Les autres,
C’est la rivière en furie, un grand arbre à la renverse

Ou le harassement, à tout âge. Au bout des patenôtres,
Un pèlerin cligne de l’œil à telle coquine qui sourit.
Les veuves redoublent de sanglots, presque à l’unisson.

Enfin le curé, d’un coup sec, ferme son missel. Il se signe
Et, sur un demi-tour militaire, il pousse devant lui la croix
En broyant l’épaule de l’enfant de chœur qui part au galop.

Parmi les allées, dans l’agitation, les hommes ajustent
Leur béret pour s’élancer gravement, loin de la douleur.
Aux filles de soutenir leur mère en pleurs. Depuis la route,

Les grilles se referment dans un miaulement de rouille.
Le village re-aspire son monde. Midi va fumer dans
Les assiettes. C’est tout, jusqu’au prochain enterrement.

Pierre PERRIN, Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022

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