Qu’est-ce qu’un poète
et quel avenir pour lui ?
Un poème offre une chambre de résonance ; gagne la beauté, l’écho ronge. La raison au contraire conduit à l’acceptation à court terme ; elle permet des accoutumances. La poésie précède donc la pensée. Le poète pour autant ne se dresse pas sur ses ergots : sa cible est tout intérieure, quand même son sujet court le monde qui exige d’être soulevé, réduit. Si l’enchanteur paraît quelquefois plus rêvé qu’il n’a rêvé lui-même, rien ne vaut que ce qui est vécu pour son propre compte. Un poème ne vit que reçu, repris et redit. Pour cela, le poète ne se contente pas de peupler le néant avant que celui-ci le réduise à sa merci. Il traque pas à pas ce qui l’entraîne dans la raie de charrue du temps. Il écrit aussi avec son corps, harassement par-dessus tête. Il est, en quête d’absolu, un entêté aux motivations complexes, un instrument : comme l’archet le violon, l’amour le fait vibrer, et puis la rage mue. Car tout le dépasse et l’enterre vivant. La vie peut bien déborder d’écumes ; rien n’écarte ses arêtes. Celles-ci que le poète recrache en beauté, si elles fécondent la littérature, agrandissent la solitude. C’est naturel. Il n’est pas d’art sans écart et peu de grandeur à vivre, sans une exacerbation de cette dernière. Pour autant, la certitude et le poète ne peuvent se rencontrer sans dommage. C’est au reste le lot commun, l’amour sans sépulture. Combien de livres sous vitres, sous vide ? Qui lit ? Qui transmet son bonheur avec son héritage ? Sans public au cœur vaincu, quelle que soit l’opiniâtreté d’un auteur, quelle œuvre ne s’enterre aussitôt ?
Pierre Perrin [Extraits de pages en cours d’écriture, 2003]