Pierre Perrin, Les Pendus avant l’aube
Matin de soleil maigre, à vouloir aussitôt battre son briquet, mais il n’est plus personne. Dans le vent, il n’y a guère qu’un cours lent de la pluie.
Où sont passées douceurs et amitiés d’hier ? La solitude pèse trop à ces paupières, comme papillons de mai, de cette gorge sèche à ce front serré.
La vie ensemble, néanmoins, nous l’avions rêvée d’un côté de lumière ainsi qu’un parc avec une maison grandeur étoile, où chacun se fût montré au milieu de vraies flammes.
L’espace entier, notre absolue possession, sans penser à la mort, les prouesses d’une vie pure l’eussent remis à mieux et à mesure que se prendrait le souffle.
Cependant, vous, dont j’ai croisé la vie, disais-je, et les amours, ce ne fut jamais que d’un seul doigt libre — les neuf autres crispés à desserrer l’étreinte.
Mais il y avait de l’amitié dans la lumière. Il faisait bon parler à fleur de jeu. Nous étions moins “absents” que d’habitude. Dans les rires, il ne fallait pas vraiment donner sa vie.
Maintenant, elle vient dans le froid de la chambre et nous étonne d’être là, nous qui nous étions dit « bonsoir » avec des mots de pendus avant l’aube.
Pierre Perrin, 1971 [in Pleine Marge, repris dans Manque à vivre, épuisé]