Tombeau de papier
À Jean-François Mathé
In memoriam Claude Michel Cluny
La première version publiée par Spered Gouez n° 22Entre naître et n’être rien, entre le cri et le silence –
L’un, à se hisser jusqu’à ses lèvres, crie la déchirure,
L’autre à feu froid, en fond de fosse, clôt la pourriture,
L’éternité pour le croyant, rien à qui rompt les œillères –
Vivre sa vie, quoi ? l’apanage d’une éclipse de la mort ?
Mais quelle éclipse ! Pour soi seul, tout un royaume !
Ébloui, on chancelle d’abondance. Tout potelé d’existence,
Écoute donc, la terre entière, les astres même t’interpellent :
— Ohé, petit prince à déjà tout presser entre tes doigts !…
L’hébétude domptée, on tend à tout éblouir, à son tour.
Les saveurs se lèvent, le désir crève la croûte. Aimer
Coupe le monde à coups de foudre. La lumière ruisselle.
On se fond tant, tant qu’on se croit l’autre devenu, aimé.
L’implosion par les pores de la peau sécrète un cosmos
À quatre mains. La caresse à la vie s’augmente, se perd.
Au secret, la solitude ; les scandales alentour. Apprendre
Tire dans le tas. La chance et la malchance… La justice,
Peau de lapin ! Tout dire est asocial et pointe le suicide.
Mais marre des ego, sans égaux, à guerres et à monuments,
Leur table rase, à eux gratis, et leurs aiguilles jusqu’au ciel !
Écrire à la craie suffit, devrait suffire, tendre une ardoise
Un peu magique, à qui aime, aussi rester crédule à croire
La tendresse, avant le saut, lui sans retour, vers l’inconnu
Trop sûr qu’on assigne aux animaux assassinés, nos amis.
Vivre est tout notre infini. Le cœur nous tienne les jours !
Pierre Perrin [15 juin 2015] in Spered Gouez n° 22, nov. 16
L’un, à se hisser jusqu’à ses lèvres, crie la déchirure,
L’autre à feu froid, en fond de fosse, clôt la pourriture,
L’éternité pour le croyant, rien à qui rompt les œillères –
Vivre sa vie, quoi ? l’apanage d’une éclipse de la mort ?
Mais quelle éclipse ! Pour soi seul, tout un royaume !
Ébloui, on chancelle d’abondance. Tout potelé d’existence,
Écoute donc, la terre entière, les astres même t’interpellent :
— Ohé, petit prince à déjà tout presser entre tes doigts !…
L’hébétude domptée, on tend à tout éblouir, à son tour.
Les saveurs se lèvent, le désir crève la croûte. Aimer
Coupe le monde à coups de foudre. La lumière ruisselle.
On se fond tant, tant qu’on se croit l’autre devenu, aimé.
L’implosion par les pores de la peau sécrète un cosmos
À quatre mains. La caresse à la vie s’augmente, se perd.
Au secret, la solitude ; les scandales alentour. Apprendre
Tire dans le tas. La chance et la malchance… La justice,
Peau de lapin ! Tout dire est asocial et pointe le suicide.
Mais marre des ego, sans égaux, à guerres et à monuments,
Leur table rase, à eux gratis, et leurs aiguilles jusqu’au ciel !
Écrire à la craie suffit, devrait suffire, tendre une ardoise
Un peu magique, à qui aime, aussi rester crédule à croire
La tendresse, avant le saut, lui sans retour, vers l’inconnu
Trop sûr qu’on assigne aux animaux assassinés, nos amis.
Vivre est tout notre infini. Le cœur nous tienne les jours !
Pierre Perrin [15 juin 2015] in Spered Gouez n° 22, nov. 16
Je crois, je suis sûr que beaucoup d’hommes n’engagent jamais leur être, leur sincérité profonde. Ils vivent à la surface d’eux-mêmes, et le sol humain est si riche que cette mince couche superficielle suffit pour une maigre moisson qui donne l’illusion d’une véritable destinée.
Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, 1926
Entre naître et n’être rien, le cri et le silence ; entre se hisser jusqu’à des lèvres déchirées et clôturer en fond de fosse, à feu froid, la pourriture ; entre l’éternité pour le croyant et rien à qui rompt les œillères, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ?[*]
Peu importe le leurre. L’hébétude domptée, tout tend à éblouir. Les saveurs se lèvent, le désir crève la croûte. La lumière ruisselle. On se fond tant, qu’on se croit l’autre devenu, aimé. L’implosion par tous les pores sécrète un cosmos à quatre mains. La caresse à la vie s’augmente, se perd.
Au secret, la solitude ; les scandales, alentour… du camarade au kapo, du kolkhoze aux goulags, du Général à la chienlit, du p’tit livre rouge à Tian’an Men, de Khomeny à ses fatwas, du World Trade Center à Allah veut la burka, du rat Merah aux attentats, du principe d’égalité à Proust aux illettrés !
Tout dire est asocial et accule au suicide, mais marre des ego, sans égaux, à guerres et à monuments, leur table rase, à eux gratis, et leurs aiguilles jusqu’au ciel, des élites qui lévitent en corruption, quand écrire à la craie devrait suffire, sur une ardoise où lire la tendresse.
Pierre Perrin, 2015, repris dans La Porte, 2018, à paraître in Des jours de pleine terre
- La Porte et autres poèmes, 2018, une vingtaine de retours de lecture
- Retours de 2020 [Michelle Ronin, Véronique Elfakir, Philippe Colmant]Le style de Pierre Perrin est aussi celui de ses maîtres. Il excelle dans l’utilisation de ces questions rhétoriques dont la réponse immédiate fuse comme pour en annihiler la vanité.
- Lecture de Marie-Claude San Juan sur Trames nomades 2/7/19une conception de la poésie qui compte : conscience de soi, et conscience du monde, dire et déchiffrer l’énigme du processus poétique que l’écriture permet de penser
- Deux notes de lecture de Michel Baglin sur TextureUne écriture charnue, rugueuse parfois, mais où les métaphores sont chargées d’énergie vitale et s’éclairent d’une lumière intérieure.[…] Des textes puissants, qui reviennent sur l’enfance […] On est loin ici de la poésie ornementale ! L’expression y est ramassée…
- Deux notes de lecture d’Alain Nouvel et Jeanne OrientC’est une poésie de l’humilité et de l’humus, une poésie des genoux dans la terre. Elle a la rudesse de qui se sait mortel et qui se cabre. La poésie d’un solitaire dévoré par cette étrange culpabilité de la perte, lequel sait se dire pourtant : « C’est étonnant comme une voix peut ouvrir les bras », la poésie d’un solitaire rédimé par l’apparition miraculeuse d’un « nous » : « Si le monde nous tire par la manche ? Peu importe ! Tu es là comme le vent dans l’arbre, au matin la lumière
- Une note de lecture par André Campos RodriguezDans l’écriture de Pierre Perrin, il y a du Janus, qui fut considéré comme le dieu des Portes, justement, car comme lui elles regardent de deux côtés. Quand les Romains étaient en guerre, on ouvrait les portes du temple de Janus pour signifier que ce dieu était aussi parti au combat. On les refermait quand la paix était rétablie. Le lecteur se retrouve donc avec deux versants, ou deux visages, mais l’unité de l’ensemble est sauvegardée grâce au style impeccable et rigoureux du poète…
- Retours de Tison, Mathé, Fontaine, Pobel, BrognietL’ensemble du florilège, tel qu’il est, me plaît : j’y retrouve ta voix singulière, pleine, avec des moments rugueux ou acérés. Bref, une écriture qui a une personnalité. [Jean-François Mathé, 10 juillet]
- Une note de lecture de Murielle Compère-DemarcyDès le texte d’ouverture la voix du poète se reconnaît, dans sa capacité à simultanément abstraire et a contrario concrétiser – d’une situation, d’un état des lieux, d’un événement – toute une symbolique vrillée aux chevilles du vécu. […] Concise et sans concessions l’écriture du poète accède au cœur des choses sans états d’âme, mais puissamment.
- Une présentation par Christophe Forgeot [Montmeyan]Finalement, je me plais à subodorer que si Pierre Perrin éprouve le besoin de rompre, c’est qu’il s’entraîne, dans une sorte de sagesse inconsciente, à ce qui sera peut-être son ultime rupture. Sauf qu’à ce jour, personne n’a pu lui prouver qu’il y aura, là, un passage, une renaissance, ni même une autre espèce de continuité. Peu importe, différemment, Pierre Perrin aura décidé de rompre encore et de continuer.
- Premiers retours de lecture — Acquisition du recueilVos ‘prosèmes’ (j’invente le mot) sont précis et bien rythmés. Ils rendent présents ce qui vous habite. Pour moi, qui suis resté catholique, la “réelle présence” n’a aucun sens, si on ne la trouve pas ailleurs que dans les rites. Or, elle fait défaut partout, aujourd'hui. Pas chez Simenon. Pas chez René Char (merci pour lui), pas chez vous. Ce n’est pas du dogme, que je vous parle, mais de ce qu’il peut ouvrir…
Page précédente — Imprimer cette page — Page suivante
[*] Cette notion d’éclipse de la mort – Robert Redeker titre ainsi un de ses livres [2017] – mérite une explication. Hauteur prise, considérérons ce que notre existence représente dans l’univers. L’expérience ignore à peu près tout du passé, gênes exceptés. L’étude la nourrit peu. Solipsisme ou pas, nul ne saura ce qui lui succédera. Montaigne cite Sénèque : « Tu demandes où tu seras après la mort ? Où sont les êtres qui ne sont pas encore nés ? » [Essais, I, 3] Quant au premier paradoxe, notre vie – pour chacun – paraît un in-fini, lu ainsi et au sens propre. Tout est possible et suffisant. Le particulier va de soi, quoiqu’il limite l’ambition et, quand il y réussit, rend humble. [Note apposée sur Le Livre des visages, le 8 juillet 2021]