Pierre Perrin : Couple moderne, poème des jours de pleine terre

Pierre Perrin : Couple moderne

Beaux visages du vivre, tout l’amour va vers vous, un seul nom lui ressemble. Annie Salager, Terra nostra

Nous sommes de ce temps qui n’avoue pas son nom, un couple cardinal, presque sans faille, quoique sans signature.
Chacun chez soi. Pourtant plus fidèle, attentif, prévenant, tu mourrais. L’un soupèse à travers sa fenêtre la vigne.
L’autre chaussé des bottes même de son double arpente une forêt. Ensemble ils tendent les cordes du cœur.
Celles-ci vibrent si bien à l’unisson qu’ils se retrouvent, dans la surprise d’un empire, sur des terres et des fleuves cachés.
Indomptés, indomptables souvent, sauf de leurs enfants à la ferme tendresse, ils barattent au nid le miel qui les assemble.
L’amour se signe avec les lèvres. Toute la terre l’enregistre, quand une écluse tout à coup les élève tous deux.
Ils se fondent en une sorte de navire de haut bord qui appareille pour les îles, sans souci de revenir.
Ils se lèvent l’un l’autre le foc, la misaine. Le nautonier parti à la renverse parfois s’oublie, en pur nautile.
Le ressac compte peu, les éléments tiennent entre eux. Les bras clignent sur les reins comme des paupières sur le ciel.
Cependant ils dérivent et la mer alentour prend la couleur et la saveur des fruits. Le corps entier en un instant mûrit.
Et tandis que le mât de toutes ses fibres tire la nef sous le ciel, le soleil ruisselle à la nouvelle du bonheur.
Ils ont ensemble dépassé ce que nul ne sait vaincre. Ils vont revenir de leur saisie aux mains ouvertes.
Toi, mon voyage toujours nouveau, tu me tends toutes tes rives ; je te rends des échos toujours plus habités.
Notre bonheur tourne sans bruit sur ses points cardinaux – ensemble jusque dans la terre.

Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, inédit

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