Pierre Perrin, L’Écart
Elle attendait sur les marches du clocher. Il faisait un fier soleil d’après les foins qui dorait les pierres comme ses cheveux. Elle portait une robe aux couleurs de foire et, à l’extrémité de ses doigts courts, on eût dit des plumes à encre rouge. Les autres l’encerclaient, les bras raidis au fond des poches. Un drôle de sourire leur tordait la bouche. Ils enchaînaient des gaudrioles, et pour certains gestes ils se retournaient. De tout son être, lui refusait ces rites, en même temps qu’il guettait de son mieux les seins pareils à deux têtes de chat sous l’étoffe. Parfois, elle le dévisageait. Mais elle n’avait pas dit un mot, quand, d’un bond, elle fut debout à ses côtés et, prenant sa main, elle le tira sur ses pas. Au cri des camarades, elle se retourna. Ils se turent. Ils ne les suivirent pas.
Malgré la canicule, l’air semblait soudain frais comme de la sève. Tandis que des champs de moisson succédaient aux vergers et que, au gré des bans d’odeurs, des oiseaux chantaient au-dessus de leurs têtes, lui ne voyait rien. La main serrée restait celle d’un enfant. Celle qui l’avait choisi dansait presque à son côté, en répétant : « tu sais que tu es beau ». Et il ne trouvait rien à répondre, quand elle se mit à lui râteler les cheveux. Bientôt abattant ses poignets sur ses reins, elle jeta sa langue dans son palais. Cela tournait, roulait, tanguait, versait. L’avenir se faisait chair, tandis qu’ondulaient les bassins. Quel cri! Est-ce que les oiseaux s’étaient tus ?
Sous le clocher, les autres attendaient, goguenards. De fait, plus de main, ni même un regard. C’était comme si l’été, soudain, avait pleuré du sang.
La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon, Cheyne éditeur, 1996