Au vainqueur
[final de La Vie crépusculaire]
Étranger, quand tu viendras, dans quelques années, on te dira : tu avais faim. Tes parents, tes sœurs, tes enfants peut-être ont agonisé entre tes bras. Nous dorlotions nos chattes. Nous nous pelotonnions dans notre égoïsme carnassier. Nous avions des soucis de taupe.
Vivre seul est un leurre ; il est des sosies, aucun égal. Le pire prisonnier appelle au secret son maton. La mort, on peut la singer – mais la vivre, du bout du pied seulement. Écraser, c’est la norme. Avec les années, comme à l’entour d’un volcan, tout repose.
Étranger, quand ce sera ton tour de régner, prends garde. Toi aussi tu rueras dans ton alvéole. Tu voudras jouer de la tenaille dans l’histoire. Tu auras poussé des bœufs, tu voudras crever des armées. Tu ne te contenteras pas de paisibles métamorphoses.
S’il te plaît, ne ris pas de qui s’enfonce dans la nuit.
Pierre
Perrin, La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon,
Cheyne éditeur, 1996
[ce poème a été repris dans Friches,
numéro 88, septembre 2004 et sera réédité sans changement]