Pierre Perrin : Poème pour une commémoration adulte [1998]

Pierre Perrin, Debout les morts
[Titre initial : Un crime d’État]
Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022

Debout les morts par Pierre Perrin [sur Youtube]

À l’adresse des curieux, la version d’origine 1998
La gerbe et le salut commémorent non la paix, la victoire.
L’orgueil toujours prévaut sur la mort. Les braves encore
Dociles, qui tremblent sous les bannières, furent la chair
À boucherie. L’horreur était à jamais tue. L’exemple aussi
Tuait le doute soudain pire qu’un déluge de feu ennemi.

Guillaume ne parle en rien de tailler en pièces la piétaille.
Lou, du quart de cavalerie, Madeleine à sa suite tonnaient
Joyeusement sur les tranchées. Au réveil pourtant, la boue
Partout ; des boyaux, sortaient des rats à l’arme blanche,
Qui tenaient mal debout, qu’on poussait à l’assaut des gaz.

Et tous, terrés puis jetés sous la mitraille, abandonnés les
Fiancée ou femme, enfants, la maison, les moissons, fous
De voir tant de broyés, amputés vifs, brûlés aux bronches,
Pour rien mais pour toujours immolés par le fait du prince,
Juraient encore : plus jamais ça. La gerbe ne désarme rien.
Pierre Perrin, 11 novembre 1998
À l’adresse des curieux, une version intermédiaire en verset
Pour commémorer l’armistice de la grande guerre, la gerbe avise la victoire. La bravache prime.
Pour quoi tremblent les bannières ? Un assaut manqué, et la hiérarchie tuait le doute. Un peloton d’exécution parachevait le feu allemand.
Guillaume Apollinaire n’évoque pas les camarades taillés en pièces. Plus fort qu’un quart de cavalerie*, le sein de Lou éclaire la tranchée d’un trait de plume.
Au réveil, la boue partout ; des boyaux, sortaient des rats casqués, titubant, qu’on poussait, à l’arme blanche, à l’assaut des gaz.
Tous terrés, jetés et rejetés sous la mitraille, arrachés la fiancée, la femme, les enfants, la maison, les moissons, fous de voir tant de broyés, amputés vifs, brûlés aux bronches, pour jamais immolés par le fait du prince, les survivants juraient encore au monument : plus jamais ça !
[11 novembre 1998]

Le grand nombre adore la voix des armes.

Pour l’armistice de la Grande Guerre, la gerbe couronne
La victoire. La bravache prime. Les bannières tremblent.
Un assaut manqué, la hiérarchie assassinait le doute.
Un peloton d’exécution parachevait le feu allemand.

Guillaume tait la boucherie. Plus qu’un quart de cavalerie*,
Le sein de Lou suffit au lieutenant pour rayer la tranchée
D’un trait de plume. La boue partout ; des boyaux,
Sortent des rats casqués, titubant. On pousse le cœur
Au ventre, à l’arme blanche, à l’assaut des gaz.

Tous terrés, jetés et rejetés sous la mitraille, arrachés la
Fiancée, la femme, les enfants, la maison, les moissons,
Fous de voir tant de broyés, amputés vifs, brûlés aux
Bronches, pour jamais immolés par le fait du prince –
Les survivants jurent encore devant le monument :

Plus jamais ça !
[11 novembre 1998]

Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022


Le poème chanté par Henri Francesci [13 novembre 2024 :



* « Tes seins  rempliraient un quart de cavalerie », Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou [L’attente,  poème 27]
2. La photo est de Jean-Claude Salet, parmi les vingt-quatre publiées dans Pleine Marge, le premier recueil paru en 1972.
3. Un document : Lettre du caporal Henry Floch à sa femme Lucie, le 4 décembre 1914. « Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voilà pourquoi : le 27 novembre vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne me sens pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple.
Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans. Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre.
Ma petite Lucie, encore une fois pardon.
Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.
Ma dernière pensée à toi jusqu’au bout. » Henry Floch.
[Fusillé le 4 décembre 1914, le caporal Henry Floch et cinq soldats ont été réhabilités par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921 — Lettre reprise de la revue Florilège n° 169, p. 36, déc. 2017]
4. Vingt-trois ans durant, ce poème a porté le titre : Un crime d’état. N’était-ce pas faire du révisionnisme ? De quel droit juger nos ancêtres ? La guerre est d’abord une défaite de la diplomatie. Elle reste le moyen d’imposer une puissance que nombre de Grands légitiment sans coup férir, quelles que soient les valeurs qu’ils prétendent servir. [Note du 11 novembre 2021]

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