Pierre Perrin : Le Poète en chimère

Le Poète en chimère
[Pierre Perrin, in La Vie crépusculaire]


La quarantaine c’est, plus que son âge, son état. Une grandeur tempérée, un peu trop. À l’entour de l’œil gris et or, les paupières manquent de cils et les sourcils tiennent du porc-épic à travers la couleur paille par endroits. Un nez large et long comme un chenal à la renverse creuse les joues qu’un levain semble travailler. Et les mains pataudes, les doigts gourds, le ventre en mentonnière ; la séduction dans les chaussettes ! Pourtant une femme se sent parfois comprise, protégée par cet homme étrange ; car c’est un immobile, un peu fou comme tous les possédés – de quoi ? Pareil à tous, il est unique. La contradiction est son cancer. Tandis qu’il cherche aveuglément et sans force le bonheur, quelqu’un surgit-il, le cœur en croc, il se rétracte. Il attend toujours plus, sans savoir quoi. Nulle part il n’est présent tout entier, ni disponible. Comme le temps, il coule. Hébété, il fixe les années. Presque rien de ce qu’il a vécu ne l’élève au-dessus de lui-même. Sa mémoire est une fosse. Et ce qu’il lui resterait à découvrir, peut-être une nébuleuse, l’atteindra-t-il jamais ? Il est lui-même une chimère, malgré des humeurs et un désir tel que, si la solitude le pousse dans le dos, la mort bientôt l’agite. Cependant il se dilue, devient rien. Adieu, poète !

Pierre Perrin, La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon, Cheyne éditeur, 1996.


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