Pierre Perrin : À l'enfant, in la Vie crépusculaire, 1996

Pierre Perrin, À l’enfant
[Un voyage sédentaire, 1986]


Mon enfant, ma douceur, mon miracle, toi qui rues dans les rues et ta chambre – je t’appelle, tu ne m’entends pas – toi, qui t’étourdis de musiques de sots, sur des ergots de colère, comme tu fais claquer la tendresse !

Mon tant aimé, parfois mon unique raison de continuer à vivre, tu tournes le dos, souverain, à ce qui entrave ton plaisir ; tu t’enflammes pour des cabanes au fond des bois recluses ; déjà courbé sur tes secrets, dis, que deviens-tu ?

Une querelle idiote avec de vraies armes, comme en construisent les nations, te dépècera-t-elle au fond de quelque impasse ? Toute une compagnie te fondra-t-elle dessus, ou un distrait obus tombant par là ? Ça fera plus d’effet, tu sais, qu’un bonhomme de neige assis sur une taupinière.

J’ai peur pour toi. Tu comprends la bande la plus forte, la justice moins fiable que la météo. L’amour s’aigrit, son lait caillé ; et l’attente met entre parenthèses, pour serrer, serrer...

Mon fils qui te lances sur tes rails, tu emmagasines peut-être des cauchemars et, avec rage parfois, tu nages entre la simplicité de ce qui devrait advenir et la reptilité des actes des hommes, ô mon infime géant qui nourris mon amour.

Tu t’échappes, c’est l’âge ! Tu t’enfonces toujours plus sur tes sentiers, avant de revenir où je suis resté. Tu refuses la douleur ; puis tu la laisses s’installer. Tu apprends comment te coudre les lèvres ; tu verras, le meilleur, c’est le poing au fond de la gorge. Et tu renifles l’enclos, le pacage, ce qu’instille la vie, ce drôle d’alambic !

Que pourrai-je pour toi ? Je t’ai lancé comme sur des skis. La piste est tracée mais indéchiffrable. Prends garde aux troncs qui t’écartèleraient. Passe les tremplins. Garde-moi ton rire. Demeurons encore un peu ensemble. Le jour venu, je céderai la place ; je me coucherai pour le bonheur de te savoir rester debout.

Pierre Perrin, repris dans La Vie crépusculaire, Cheyne éditeur, 1996 [épuisé]


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