Pierre Perrin : Ève quaternaire, in La vie crépusculaire

Pierre Perrin, Ève quaternaire
[un poème de Chroniques d’absences, 1978]


[La souris ici pour la version de La Vie crépusculaire, chez Cheyne, 1996 [épuisé]]
Toi présente! – nos routes avaient divergé. Tes seins haut perchés brûlaient dans ma mémoire. Au large, aérienne, tu fendais les rires en tempête.
Sur tes pas, je finissais les nuits, tournées les tables chargées d’espoirs et de bouteilles, sur un lit de fer avec des maux de reins que même un charlatan n’eût pas voulu traiter. Cela ne m’empêchait pas, l’aube à peine apparue, quand les croissants sortent des boulangeries entre des mains ivres, de sonner à ta porte. Derrière ton judas, tu me faisais trépigner. J’enlevais ton peignoir telle une buée. Et sous les lèvres sommées de balbutier le désir, dans le jeu des paumes expertes plus douces que de l’herbe, nous trébuchions sur la moquette profonde comme une grange. Des noyés, s’ils nous avaient entraperçus, en auraient remonté le courant et sauté les écluses.
Le premier soir, au restaurant, tu avais lâché tes souliers pour enchaîner mes chevilles de tes pieds nus, écarté mes mollets pour t’enfourcher sur mes cuisses. J’étais comme du soufre. Alentour des trèfles devaient monter en graines sous la lune. Je ne pensais qu’à l’averse qui nous attendait et combien tu allais ruisseler.
D’autres fois nous marchions. À deux pas, les collines. Le souffle au clair et sans fatigue, nous montions. Au sommet, tes seins pointaient sous mes côtes. Et nous roulions, vaille que vaille, dans l’herbe haute, rêche et piquetée de violettes. Traversées les jambes, le frisson à profusion, et tes pupilles dilatées, tout l’horizon entre nos bras.
Ton apparition, ce soir. De nouveau, perdu ton adresse. Si par impensable hasard, tu viens à lire ce poème, jette-le, appelle-moi. Que je t’embrasse encore, même aux portes de l’agonie.

Pierre Perrin, repris dans La Vie crépusculaire, Cheyne éditeur, 1996 [épuisé]

© Philippe Debiève

Tes seins brûlent, haut perchés. Aérienne, tu fends les rires en tempête. Sur tes pas, je finis les nuits sur un lit de fer. Mais même un charlatan ne traiterait pas des maux de reins qui ne m’empêchent pas, l’aube à peine apparue, quand des croissants sautillent entre des mains ivres, de sonner à ta porte. Derrière ton judas, tu me fait trépigner. Je souffle ton peignoir telle une buée. Sous tes lèvres qui balbutient le désir, dans le jeu des paumes en herbe, nous trébuchons. Des noyés en remonteraient le courant, pour sauter les écluses !
Quand tu lâches tes souliers pour enchaîner mes chevilles ou faire une fourche de mes cuisses, je ne suis plus que soufre. Quand nous grimpons vers les collines, le souffle au clair et sans fatigue, qu’au sommet tes seins pointent sous mes côtes, tandis que des trèfles montent en graines sous la lune, l’averse n’attend pas ; tu ruisselles. Et nous roulons, vaille que vaille, dans l’herbe haute, rêche et piquetée de violettes. Les jambes au ciel, le frisson à profusion, tes pupilles dilatées, l’horizon se clôt entre nos bras.
Ton apparition, ce soir ! Si par impensable hasard, tu viens à lire ce poème, jette-le, appelle-moi ; que je t’embrasse encore, même aux portes de la mort !  J’ai écrit ces billevesées. Pardon, mais les seins en galoche et le repos de vivre ont raison de l’injonction. J’ai oublié jusqu’à ton vrai nom. J’ignore tout de ton parcours. Il est trop tard. Telle est la vérité, quand le sol tremble sous les pieds.

repris in La Vie crépusculaire [ré]édition revue et corrigée en préparation


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