Métamorphose de la terreur
[un poème du Temps gagné]
À Liliane Tuetey
L’hiver s’éternisait. Le malheur grossissait dans les fourneaux. On n’osait plus faire un pas dehors. Le gel cabrait la terre et tous ses habitants, du moins sur le village. Mais le printemps surgit. Nul ne l’attendait plus. Des enfants étaient morts. Les bêtes avaient raclé de leurs sabots le pavé des étables. Elles avaient arraché le bois des râteliers. Quelques jours suffirent. La terre se réchauffa. Des fleurs risquèrent une corolle. Des feuilles coururent au bout des branches noires et se démesurèrent. Le lait revint. La joie se redressa. L’amour fut de nouveau possible à la fontaine, aux sentes innombrables. On quittait les greniers vides ; on déboulait dans la lumière. Un cancer reculait, dont on avait cru ce siècle une fois de plus saisi. Et l’on chanta. L’église restait fermée, mais les maisons s’ouvraient. Le sourd silence évacué, l’avenir se remettait en marche.
Pierre Perrin, Le Temps gagné, 1988.