Pierre Perrin : Approche de la poésie

Approche de la poésie

Elle est la littérature, elle ne se réduit pas à un genre. Elle surgit le plus souvent où on l’attend le moins. Preuve de son prestige ou imposture suprême, pareille à Dieu pour le croyant, elle règne. Elle féconde l’insaisissable. De Montaigne aux Mémoires d’Hadrien, en passant par La Bruyère, Racine, Rousseau, Chateaubriand et Proust, il n’est pas un sommet qui ne relève de ses pouvoirs.

© Florence CrinquandLa poésie, c’est une voix singulière et plurielle à la fois. Tout ou presque la nourrit, dès qu’un rythme emporte le lecteur. La découverte recrée une émotion. Cette dernière a suscité la page. Elle attend de renaître entre les lignes. Elle appréhende la précarité, attise l’existence. L’aporie multiplie le désir, sans négliger l’éclatement des leurres.

Par la poésie, le dérisoire devient parfois capital, l’horreur sublime. À relire George Steiner, l’indispensable révèle son néant, tandis que la poésie transforme tout ce qu’elle met en bouche. Aucune magie en cela ; l’image n’est pas tout. L’art du langage réalise l’équilibre du ton, du sentiment et de l’intelligence.

Pierre Perrin [2002]


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[Comment écrire de la poésie ?] Une émotion engrène (et parfois ensemence) l’écriture. Le lecteur la devine au seuil, au long de tous les grands poèmes, les seuls qui vaillent. La Ballade des pendus l’annonce dès son titreLa pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
 ; dans L’Albatros, l’incompréhension du génie par le vulgaire est assez claireCe voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
. Ce qu’on appelle l’inspiration, terme vague, est la transcription de cette émotion, au plus près. L’écriture exige d’atteindre une perfection, en terme de nouveautés (inventions et formules) et de simplicité pour la compréhension, le poème achevé. [2018]


Une définition pratique à l’usage des élèves

Sur Le Livre des visages, le 20 avril 2017le message, un contre-fat, féru de forts polars, un de ces braillards ne sachant pas lire avec ses mains – un aveugle ne lève jamais le ton –, comminatoire par défaut de profondeur, a contesté le droit de définir la poésie. Non content de ressasser le paradoxe-cliché de « la poésie qui résiste à toute tentative de définition », ce contempteur s’est s’abandonné au ridicule de préciser « la poésie… en littérature ». C’est qu’il la verrait dans les couchers de soleil, ce suffisant ? À la fin, s’il pose une définition, nonobstant ses propres anathèmes : « elle est cet instant toujours inattendu de ce qui survient au lecteur et le traverse », celle-ci n’offre qu’une traduction, en français alambiqué, tronquée, de la citation de Montaigne [qu’il a sans doute recopiée de la page suivante, sur mon site]. Tant de mépris de sa part pour un si médiocre résultat. Qu’il aille !

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