Pierre Perrin
« Qu’un ami véritable reste irremplaçable »
Je m’en vais le premier vous préparer la place, Pierre de Ronsard

Pas beau, peut-être, un peu boulot, avec un pied bot, Émile excelle en tout. Levé à six heures, été comme hiver, il attend le coucher de ses hirondelles. On l’appelle, il donne la main. Il coupe du bois, huit mois de l’année, de quoi chauffer trois cathédrales.
Il a trait jusqu’à cinquante vaches, avec un commis. Il a essayé toutes les races, sauf la peau rouge ; introuvable, un indien. La casquette facétieuse, les mains nouées sur le manche de fourche – une nuit sans lune, la chasse fermée, il a dépecé un chevreuil. Un juge en vacances, qu’il logeait, lui avait ramené ça dans la grange et réveillé sans trop de précautions. « Vous savez, moi non ». Il en tremble encore.
Sa femme l’horripile à courir les cures de religion. Elle s’éclipse, il respire ; aussitôt elle lui manque. Le meilleur de sa vie côtoie la rivière où il faisait les nids de poules. C’était une jeune, aux pommes à dorer ; d’autres fois des restes, deux sachets de thé sur une soucoupe, il reviendrait.
Il ne revient plus, mon ami, pour personne.
Des jours de pleine terre [ordinuscrit des années 2000]