Pierre Perrin : La mort à la gorge [sur une photo qui a dérangé le monde, les 2-3 septembre 2015]

La Mort à la gorge

Sur une plageLe corps d’un enfant mort, vomi comme un bois mort, on ne peut pas dire qu’il dort. Il ne se relève pas. C’est fini l’essai, des mollets en feu aux déluges de rire, les jeux, les câlins, la jetée devant soi.

Les réfugiés forment un autre monde. Qui les veut à sa porte, à sa table ? Pas de pleurs de crocodiles, c’est insulter les crocodiles ! L’égalité n’est recevable que de loin, comme on regarde une fumée.

Une larme à ce père, survivant d’une tragédie que le monde abandonne ? Il n’est qu’une Antigone, morte, et nos mémoires s’en allègent. Le rideau tiré, qui torche le cul de la ville ? Les éboueurs : des réfugiés.

Le silence est un cri, belle parole, bras ballants ! Rien ne change, ni le fric assassin, roulé par les flots. C’est à peine si chacun, à galvauder ses déplaisirs, un instant, lève haut un enfant mort en mer.

Pierre Perrin, 6 septembre 2015


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L’origine de ce sonnet, depuis basculé en prose, tient dans une réaction de ma part à la production d’un confrère qui s’était laissé aller à dire que ce corps « dormait ». Ma première phrase répond : « on ne peut pas dire qu’il dort ». Pour le reste, je dénonce ces indignations presque populistes qui, du fait même de l’oxymore qu’elles soulèvent, forcément ne débouchent sur rien. Suis-je compréhensible ? Est-ce seulement utile de dénoncer quoi que ce soit ? Mais nos questions nous portent. [Une réponse à l’adresse de Patrick Prigent, le 3 octobre 2018] — Brigitte Maillard, poète, en me rapportant que je cédais parfois au bon mot au détriment du fil de l’émotion, m’a conduit à remplacer, au deuxième paragraphe, « les crocodiles, dont les mâchoires, d’un ahan de stentor, broieraient tout alentour » par « les crocodiles. L’égalité n’est recevable que de loin, comme on regarde une fumée. » Que sa sincérité soit ici remerciée [février 2019].

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