Pierre Perrin : : Marche à vie [deuxième partie] poè me paru dans la revue Friches, 2004

Pierre Perrin, Marche à vie
[II]

C’est que la semaine accumulait les tâches. Petits, on faisait les rats, à la fin de l’hiver.
On se hissait dans de grands tonneaux pour les brosser. Le moisi coupait la gorge et les poignets.
On abattait des nids au bout des poutres, au sommet de quelques frênes aussi.
Pas de poids, peu de risques ; les petits doigts poussaient des ombres d’anges.
Seul le dimanche après-midi lâchait tout le monde, pour rire son soûl, au pied des falaises.

Là de guingois, l’ignorance sans pitié, grandeur nature, la vie soufflait la violence.
On tuait pour des riens que la haine attisait, sans crier gare. Brutes, brutaux, bravaches,
Tous petits bourreaux lâchés par les bois et les prés, on aimait la force à en mourir.
Tendres rapaces pris au piège, roués de coups, démembrés, quelquefois cloués vifs,
Votre incrédulité, vos tremblements, vos râles n’ont pas quitté mes veines.
La bonté est une tare que rature la beauté, comme si la mère au nid appelait le saccage.

Mais le partage, trop prompt à enfoncer des épines dans la tête, comment le rejeter ?
Parler peu, rire à la dérobée, demeurer seul de préférence, c’était une sorte de bagne.
La peur sur les rochers, le souci dans la ferme, la cécité partout aidaient mal à pousser droit.
Et que faire quand l’emportait l’inconnu dont chacun à la folie avivait le mystère ?

Langue pendante, des chiens flairaient des chiennes au long des rues, jusqu’au fond des impasses.
Des chattes se traînaient des heures par terre et par tous les temps, à pleurer sous elles.
Si le taureau saillait sans trêve ni façons, le cheval au pré savait la tendresse.
Des lits seuls et tous rideaux tirés en prétendu secret grinçaient, après les tables épicées.
Nul ne pouvait deviner, à des attouchements, comment se jouerait la moitié de son destin.
Te souviens-tu, d’entre tes cils, de tes doutes, si près de basculer dans l’univers ?
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Pierre Perrin, poème de 2001, paru dans Friches, 2004.


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