Pierre Perrin : Marche à vie [dernière partie]

Pierre Perrin, Marche à vie
[III]

Comme le pivert au petit bicorne rouge dans le sens du bec, moi aussi je piochais.
Mais le cœur dans les talons, je brûlais sans feu ni fin, j’échaudais à la ronde.
Plaire achevait ma déroute. De la cendre dans les yeux, je recrachais de la moisson germée.
Tout ce que touchent les amants d’habitude est béni ; à mes mains tout restait interdit.
M’abstraire, me ravir ? Où les doigts agiles, moins aveugles qu’on peut le croire, quand le bassin manque de s’arracher ?

Où la sans pareille, sans un geste que celui de s’effacer sans cesse, attendait-elle
La tempête immobile qui nous déracinerait pour un plaisir à la mesure de la terre ?
Celle dont, à trois pas, le souffle me manquait, tant déjà j’avais peur pour elle,
Au rire aussi plus qu’un sésame volubile, pourtant triste au fond, sans espoir,
Était bien ce dieu que chacun trouve un jour dans sa vie, qu’il perd trop tôt, à jamais.

Lorsque mon tour est venu de tenir dans mes bras cette femme aux seins de rose,
Aux doigts de prunelles gelées que j’ai tant pressés sur mes lèvres, partout,
J’ai enfin volé en apesanteur ; du moins ma tête balançait du déluge à la fin des temps.
Je n’étais plus une cible. Le cœur que je partageais occupait l’univers entier.
Sans doute tout était irréel, comme de parler à un mort. Mais chacun l’a vécu, cela.
Passé ce sommet, la vie voit l’infini. La terre demeure, le moindre pas s’allège.

J’ai beau ressembler à un drôle d’air tombé du ciel pour quelques notes, sans paroles ;
Sans partition, tout juste bon à joindre les doigts sur les trous ; je reste
Du brin d’herbe à côté, du vers luisant dans la rosée, je marche à la rencontre du bonheur.

Pierre Perrin, poème de 2001, paru dans Friches, 2004


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