Pierre Perrin : le Pendu avant l'aube, poème de 1971

Pierre Perrin, Le Pendu avant l’aube
[un poème de Pleine Marge, 1972


Matin de soleil maigre – maigre à battre le briquet. Derrière les vitres, le jour tisonne la conscience. La solitude pèse plus fort sur ces paupières, cette gorge sèche et ce front serré. Où sont passées les douceurs d’hier ?

Pour crever le vieux monde, une lampe à la main, les amis savent crier. La vie les brasse. Leur cœur est tanné de soleils mis en gerbes. Nul ne sait ce qu’ils trouvent chez lui. Une prouesse tranquille, un partage de la vérité, une maison peut-être où rayonner ?

Il les fait rire quand il évoque les doigts crispés à desserrer le garrot. Il échoue à saluer l’aurore, à réussir le saut. La tête hésite entre les convulsions de l’herbe et les barricades. La bouche crispée, à quoi bon saigner dans un oreiller ? Où l’acte solaire ?

Seulement un manque – tentaculaire. Rien ni nul n’étreint qui que ce soit. Sur l’arc brisé de vivre, l’attente est d’aigle mort. Alors bavarder, charger le feu et les alcools sur la table. Si la guerre et les lois divisent les amis, rien n’oblige à donner sa vie.

La voilà, maintenant, dans le froid de la chambre, et il s’étonne d’être là, ayant dit bonsoir avec des pensées de pendu avant l’aube.


Pierre Perrin, 1971, in Pleine Marge, repris dans Manque à vivre et La Vie crépusculaire


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