Pierre Perrin, L’arbre, poème de La Vie crépusculaire

L’arbre
[un poème de La Vie crépusculaire]

arbre, photo Pierre Perrin

Face à l’arbre, l’homme, trois fois rien.
L’enfant qui bâtit, à coup de serpe, sa cabane, plie, rompt et catapulte son bonheur. La forêt lui appartient.
L’arbre, tremble-t-il d’un frisson d’oiseaux, on dirait une respiration, un cri retenu. La sève en perce, il jouit de toutes ses feuilles, jusqu’à ses racines.
Il croît avec la terre, qu’il exhausse, comme la femme aimée bout et se tord, accroupie et bientôt levée comme une tempête…
Cœur ruisselant, aveugle, la flèche des amants traverse l’écorce. L’arbre, anonyme, témoigne, pour personne.
Pourtant l’homme un jour l’abat, le met en quartiers, tel un bœuf. Sur quoi ne s’acharne pas la plus belle âme sous les cieux ?
Ce chêne, ce charmille troglodytes, ce sapin si sombre en plein été qu’il tricote la misère, les voici en poutres et en morceaux, pleins d’échailles, bientôt empilés.
Et tandis que ses yeux se ferment, il sert encore ses bourreaux ; les flammes se pourlèchent jusqu’au ciel, sans un cri.
Plus haut que l’homme, l’arbre, jusque dans la mort.

Pierre Perrin, La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon, Cheyne éditeur, 1996
[ce poème sera réédité sans changement]


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