Pierre Perrin : les Vacances, poème de la Vie crépusculaire

Pierre Perrin : Les Vacances

« On ne fait pas l’amour, c’est lui qui nous fait. »
André Hardellet, Lourdes, lentes

Ils s’étaient arrachés au décollage, dans le sifflement suraigu de trois réacteurs et d’inquiétants bruits de tôles froissées, et ils avaient contemplé par intermittence la neige au nord, le sud à nu, la mer fouettée, sous le vol pas plus angoissant qu’une embardée de trottinette, plus tranquille que le train. Si l’atterrissage, avec la dépression, les avait secoués, les tympans percés de mille aiguilles, la terre avait été si belle à reconquérir, quand les pieds avaient reposé.

Des maisons flanquées d’une tour, en pierre de taille, comme si des forbans sévissaient encore, respiraient à travers les haies, entre deux pans de mur, une fortune douteuse, tant l’île entière semblait pauvre. Mais malgré des routes défoncées, la friche et une jacasserie générale, le ciel filait un bleu léger et la cité ivre de thym et d’anis, à l’exemple des grandes feuilles de palmiers qui recherchaient la meilleure prise au vent docile, semblait offrir un récital de caresses. Dans l’hôtel carrelé, les clients fêtaient la nuit ; des couples grinçaient à dix chambres à la ronde. Et quand perduraient quelques amants jaseurs et de haute tension, certains beuglaient parfois derrière les cloisons aussi épaisses que du papier bible.

Au réveil, après un long câlin, elle fardait ses paupières, les lissait de gaieté, avant de courir où doraient des aréoles de petite terre élancée d’un court sifflet presque taillé dans du noisetier. En voyeur tranquille, chacun prenait partout son miel. La beauté levait la vie, tandis qu’au cœur de l’île à peine habitée, entre des détritus et des carcasses de voitures, si des anthémis embaumaient l’air, la mer transportait du goudron jusque dans les criques.

Tout chez elle s’avérait infime, hormis ses cheveux si lourds qu’on eût cru effleurer un buisson de roses noires. Sa langue : plus agile que le vent dans les rideaux. Elle voulait tout, elle donnait tout, avec des abandons voraces qui filaient l’émotion. Et lui, comme le soleil dorait la terre, il l’adorait avec tant de forces nourricières qu’il la faisait ruisseler, si heureux de l’entendre rire, abandonnée, pour le plaisir de la combler, à genoux, en transes, sur le dos en creux de sable jusqu’au cou zébré de boucles, la houle refendue, les mains à pétrir, d’une douceur toute puissante, à bout portant, la tendresse du cri. La mémoire malhabile à retenir la joie, les braises pleuraient toujours de nouvelles branches.

Au-devant de l’eau, tantôt d’azur, tantôt d’éclosion, qui battait les rochers d’un mouvement de palmes, l’air marin, soulevé de sel, récurait les sinus et l’éternité semblait une contraction de l’esprit, bien qu’une voix de chèvre parfois, sur une musique de cirque et de foire mêlées, rabâchât des rengaines. Alors, comme dans une secte à Éros et à peu d’adeptes, mais triés sur la jouissance au milieu du désert, ils gagnaient la petite table en merisier, le seul luxe de la chambre, où savamment assise, la jupe en cerceau, les genoux béants, la cire à rouler la peau tendre de ses fesses, elle se penchait à verser, les mains en tentacules, les seins pleurant la caresse. Et tandis qu’au-delà de la Méditerranée, ridée tel un vieil éléphant, les bourgeons des lilas explosaient comme des V de victoire et que les hannetons ivres sous les lampadaires traversaient la nuit en solitaire, elle et lui tenaient la vie telle un bouquet, droit dans les yeux, sans attendre qu’elle fane.

La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon, Cheyne éditeur, 1996

Page précédente — Imprimer cette page — Page suivante